Pour Manon, ma fille aliénée.
Si je n'éprouve pas pour l'histoire que j'écris et relate le sentiment et la sensation violente d'opérer en permanence la plus grande transgression pensable à mes yeux, à quoi bon encore ? Il faut des crimes, des crimes épouvantables, inexpiables; il faut jeter sur le papier l'ignominie la plus crapuleuse, utiliser des "noms propres" pour les mettre en scène et les battre en brèche dans des ordures, entrer dans tous les détails et avilir, avilir, avilir les maîtres; faire resplendir les esclaves et les réprouvés, tout renverser avec un systématisme luciférien, irrémédiable.
Ce qu'on n'ose que vaguement penser contre, il faut l'agrandir exponentiellement, en faire l'arène d'une criminosophie scientifique, impérieuse, souveraine. Les apologues les plus monstrueux, les moins défendables, ces ordures vives, il faut leur donner jour et jouissance, et logistique et raison, leur donner leur vaste bon plaisir. Parmi tant et tant de nuit je voudrais que trois pages d'un récit suffissent à me faire jeter en prison, à me faire mener à la chaise électrique; car c'est dans l'électricité que le verbe vit. Tout est perdu à jamais et nous avec. Il faut être irrémissible. Essaye du crime moral auquel on parvient par écrit. Souille le pouvoir, avilis l'autorité, rend monstrueux tout ce qui entend se faire respecter. Il faut les tripes sur la table du déjeuner de bon appétit, Messieurs, manger toute la merde; toute.
- Vous avez écrit là un livre si abject qu'il est strictement indéfendable. Dans quel égoût mental vivez-vous ?
- Je n'ai fait que mon rapport. Votre planète m'a désagréablement surpris. ( Il rit ).
- Comment avez-vous pu penser -je ne dis même pas écrire !- de pareilles choses ?!
- Ces choses, pensées, puis sciemment écrites, m'ont permis de vivre dans votre monde de mort. Mon instinct de vie a du s'enter sur ma pulsion de mort. Où suis-je fautif ?
- Vous êtes un grand misérable, un malade, un déchet, un psychotique.
- Vous m'avez produit. Enfermez-moi.
- Nous le ferons.
- J'écrirai encore.( D'un cri majestueux, brusquement, l'ange ouvrait les rideaux : les rideaux déchirés, le fond des mondes -un vide malade- s'ouvrait comme un livre plein de saillies incestueuses, de fumées d'opium, de sueurs glacées. D'abord un climat, un crime, une face; jouir crispe ).
Elle fend le crépuscule du matin sur un cheval fourbu, repartant au château vide et glacial. L'orage vient d'éclater ce qui est rare à l'aurore, il claque des dents comme dieu. Une pluie fine et laiteuse défait formes et lueurs. Il faudrait tout finir, tout flamber, et tout tuer.
J'ai la curiosité d'en savoir encore un peu plus.
Un énième jour de souffrance s'annonce.